Il y a quelques années, lors d’une rencontre interreligieuse à Londres, j’ai entendu un musulman soufi expliquer le sens premier du mot jihad en des termes bien différents de ceux que j’avais l’habitude de lire dans les gros titres des journaux et les reportages. Il y voyait une quête intérieure spirituelle de Dieu, un engagement à renoncer au matérialisme et à lutter contre la tentation du péché.
Bien sûr, ce terme a également d’autres sens. Les musulmans vous diront en général que le jihad a aussi trait à l’autodéfense face aux attaques. Mais on ne saurait échapper à la mauvaise image que ce terme a acquise en étant associé aux atrocités commises par des militants islamistes, que ce soit dans des pays majoritairement musulmans ou ailleurs.
Mais le concept du « grand jihad », ainsi qu’on désigne souvent la lutte spirituelle intérieure, est commun à de nombreuses religions, y compris la Science Chrétienne. Et si les conflits violents qui font les gros titres des actualités peuvent susciter en nous la crainte ou la colère, la lutte intérieure sincère, qui elle ne fait pas les gros titres, nous permet de refuser de telles réactions et d’acquérir peu à peu le sens spirituel de « la paix de Dieu, qui surpasse tout intelligence » (Phillipiens 4:7). On y parvient en cherchant Dieu et en Le trouvant, en rejetant le matérialisme comme étant un mensonge au sujet de la véritable identité de chacun, et en refusant aussi de se résigner à accepter le péché que l’on voit chez les autres.
« Trouver Dieu », c’est comprendre Sa vraie nature. Les enseignements de la Science Chrétienne définissent Dieu en tant qu’Esprit et Amour, et déduisent de la Bible (selon laquelle nous sommes tous créés à la ressemblance de Dieu) que nous sommes l’expression spirituelle aimante de l’Esprit. En tant que scientiste chrétien, je comprends que le matérialisme, qu’il faut fuir selon l’orateur soufi, est tout ce qui est contraire à la spiritualité pleine d’amour qui constitue notre vraie nature. C’est accepter la vision erronée selon laquelle tout est limité et discordant, alors qu’au contraire nous sommes créés par l’Esprit divin illimité et vivons en lui.
La croyance générale que nous sommes matériels inclut plus particulièrement la croyance que nous sommes enclins à avoir des pensées coupables, dont celles qui mènent à commettre des actes violents. Mais de telles pensées sont étrangères à notre vrai moi spirituel, créé par Dieu. Lorsque nous avons la preuve que d’autres nourrissent de mauvaises pensées ou ont commis des actes coupables, cela peut nous inciter à accepter une conception matérielle de l’existence. Au lieu d’accepter cette vision limitée des autres, nous pouvons plutôt nous efforcer de voir au-delà, de voir l’idée véritable que Dieu connaît en tous Ses enfants. Lutter sincèrement pour comprendre que personne n’est véritablement matériel, ni pécheur, nous aide à nous débarrasser des éléments mentaux que sont la crainte et la colère.
En pratique, quand on lit les journaux, le seul fait de vouloir combattre et vaincre cette agitation dans sa pensée semble représenter un grand pas en avant. Et si cette « lutte contre soi-même », ainsi que Mary Baker Eddy, la découvreuse de la Science Chrétienne, décrit ce combat intérieur (Ecrits divers 1883-1896, p. 118), pouvait effectivement changer les gros titres des journaux ? Un récit biblique montre qu’une victoire intérieure sur le sens matériel de la vie élimine notre crainte des personnes aux intentions violentes.
II s’agit de l’histoire de Jacob, qui trahit son frère Esaü, s’enfuit pour échapper à la fureur de ce dernier, puis revint dans son pays natal, bien des années plus tard. Durant les années précédant son retour, Jacob avait progressé spirituellement car il avait eu de nombreuses occasions de connaître la présence et le pouvoir de Dieu. Mais quand il apprit qu’Esaü venait à sa rencontre avec quatre cents hommes (voir Genèse 32-33), il eut de bonnes raisons d’appréhender les retrouvailles prévues.
On pourrait titrer ce qui arriva ensuite : « Le jihad de Jacob. » Evoquant cette expérience, et se référant à Dieu en tant que Vérité et Amour, Mary Baker Eddy écrit dans Science et Santé avec la Clef des Ecritures : « Jacob était seul, combattant l’erreur – luttant contre un sens mortel de vie, de substance et d’intelligence comme existant dans la matière avec ses faux plaisirs et ses fausses douleurs – lorsqu’un ange, un message de la Vérité et de l’Amour, lui apparut et frappa le tendon, ou la force, de son erreur, jusqu’à ce qu’il en vit l’irréalité ; et, étant ainsi comprise, la Vérité lui donna la force spirituelle dans ce Péniel de la Science divine. » (p. 308)
La suite des événements suggère que ce genre de victoire intérieure sur l’erreur de croire à l’existence matérielle peut avoir une influence sur d’autres personnes. Esaü luttait peut-être contre ses propres démons, en l’occurrence la rancune et le désir de vengeance, mais ils furent réduits au silence quand Jacob surmonta son appréhension. Lorsque cette troupe de quatre cents hommes arriva, toute intention violente avait fait place à une étreinte fraternelle sincère.
Réagir par la crainte et la colère à une actualité qui nous parle de violences meurtrières commises par des extrémistes religieux ou politiques paraît certainement sensé. Mais c’est une réaction matérielle à une vision matérielle des événements. Comme Jacob, nous pouvons lutter contre de telles tentations jusqu’à ce que nous ressentions la paix en entrevoyant le point de vue de Dieu. C’est de ce point de vue que l’auteure de Science et Santé a écrit son livre, expliquant que, loin d’être assiégée, « la spiritualité assiège ouvertement le matérialisme ». Et de conclure : « De quel côté combattons-nous ? » (p. 216)
Ainsi, tandis que les gouvernements prennent avec raison des mesures pour nous protéger de la violence des extrémistes, nous pouvons tous jouer un rôle en décidant de mener une bataille intérieure pour comprendre l’ascendant qu’a la spiritualité sur la matérialité. Nous pouvons prendre conscience de l’Esprit infini et de son idée infinie, là où le matérialisme, incluant les agressions, n’a aucune emprise réelle sur quiconque. Il n’est pas facile d’atteindre ce degré de lucidité spirituelle, ne serait-ce que pour surmonter une petite querelle avec un proche, alors que dire des efforts nécessaires pour voir au-delà du spectre de la haine meurtrière ! Mais l’amour de Dieu œuvre avec nous, et nous aide à comprendre que chacun est vraiment l’enfant de Dieu, et nos efforts sincères pour vaincre ce sens matériel erroné de nos semblables constituent une partie essentielle de cette « lutte contre soi-même » qualifiée de « sublime » dans Ecrits divers.
Nous ne saurons peut-être jamais si nos victoires intérieures ont contribué à prévenir certains gros titres indésirables, ou si elles ont touché un cœur endeuillé en quelque partie du monde. Mais soyons sûrs que lorsque nous luttons sincèrement contre la crainte et la colère que suscite une perception matérielle des autres, chaque victoire a un effet guérisseur qui va bien au-delà de notre propre expérience.
Tony Lobl
Rédacteur adjoint
