L'idée que le monde se fait de la paix est trop souvent celle d'une quiétude purement sensuelle. Tout au plus serait-elle, sous une forme ou une autre, un sentiment de bien-être communiqué par les sens. Et cela, parce que l'homme ordinaire, ayant une foi intense dans la réalité de la matière, mesure naturellement toutes choses d'après un modèle matériel. C'était le cri du démoniaque parmi les tombes: "Es-tu venu ici pour nous tourmenter avant le temps?" Lui, comme les propriétaires des pourceaux, réclamait la paix au nom des sens matériels. Mais la plupart de ceux qui la cherchent sur une telle base, se réveillent tôt ou tard, comme Abou Ben Adhem, pour découvrir qu'une telle paix n'est qu'un songe.
Ce n'est pas dans les pages de la Bible qu'il faut trouver l'idée d'une telle paix. Là, celle-ci est toujours le fruit de la compréhension spirituelle. Jésus-Christ l'expliqua sur le chemin de Gethsémané: "Je vous laisse la paix; je vous donne ma paix; je ne vous la donne pas comme le monde la donne. Que votre cœur ne se trouble point et qu'il ne craigne point." Il entendait, certes, que l'idée que le monde se fait de la paix est fausse, et que sa paix à lui n'était pas celle que le monde donne. Ses disciples, s'ils voulaient éviter de se réveiller un jour pour apprendre que leur paix est un rêve, devaient trouver sa paix dans le seul lieu où rien ne peut la détruire: dans la réalisation spirituelle. La paix offerte par Jésus était dangereusement pareille à ce que le monde appelle guerre. En effet, elle n'était pas autre chose que la guerre quotidienne avec eux-mêmes, avec leur propre sensualité. Seule la destruction de cette dernière pouvait leur apporter la perception spirituelle constituant la paix de Dieu qui surpasse toute intelligence.
En la compagnie de Jésus, sous sa direction, ses disciples étaient partis pour lutter avec le monde, la chair et le diable. Le Maître leur avait enlevé leurs foyers, les avait jetés bourse vide dans la bataille. Il avait fait d'eux le point de mire de la colère et du mépris orthodoxes, et, avant de les quitter, il dut leur confier que la prédication de l'Évangile mettrait leur vie même en danger. Quoi d'étonnant si, un certain jour, il leur avoua qu'il n'était pas venu apporter la paix mais une épée, et pour montrer au monde que les ennemis d'un homme sont ceux de sa propre maison. Pour le sens humain des choses, l'épée de l'Esprit ne saurait engendrer que la guerre. Elle ne peut servir qu'à la destruction de tout ce qui est sensuel et matériel dans la conscience humaine. Telle était la paix, contraire à celle du monde, que Jésus donna à ses disciples. Et pourtant, nul ne peut espérer atteindre cette paix spirituelle que rien ne saurait détruire, avant d'achever la guerre sainte et de vaincre la sensualité.
Jésus-Christ était le chemin, et il déclara que tous ceux qui monteraient dans la bergerie et y trouveraient la sécurité, auraient à suivre ses propres traces. Il serait vain de s'imaginer qu'on peut connaître la paix spirituelle en acquérant les convoitises de la chair. La paix qu'offre ce monde est environnée de périls, et si la paix d'un homme peut être bouleversée, cela prouve qu'il n'a pas encore saisi ce qu'elle est en vérité. Par contre, l'homme qui sait comment elle s'obtient, peut l'acquérir alors même que le monde autour de lui passe dans un enfer. C'est à quoi songeait Mrs. Eddy quand, à la page 96 de Science et Santé, elle écrivit: "Ce monde matériel devient dès à présent l'arène où luttent des forces en conflit. D'un côté il y aura la discorde et l'effroi; de l'autre il y aura la Science et la paix." Comme l'a très bien vu Ésaïe, l'épée de l'Esprit, du point de vue des sens matériels, crée le mal. Aussi a-t-il écrit: "C'est moi qui produis la lumière et qui crée les ténèbres, qui fais le bonheur et qui crée l'adversité; c'est moi, l'Éternel, qui ai fait toutes ces choses." Quiconque possède tant soit peu de connaissance métaphysique, sait que le bien infini n'a aucune conscience du mal; par conséquent, Ésaïe ne voulait pas dire que la paix engendrait la guerre. Non, il entendait montrer qu'une compréhension lucide de la Vérité spirituelle en des milieux suffisamment matériels provoquerait une chimicalisation qui ne serait rien moins qu'une guerre. Car, ainsi que l'écrit Mrs. Eddy, à la page 401 de Science et Santé: "Ce que je nomme chimicalisation, est la révolution produite lorsque la Vérité immortelle détruit la croyance mortelle erronée. La chimicalisation mentale fait remonter le péché et la maladie à la surface, contraignant les impuretés à s'éliminer, comme dans la fermentions d'un liquide."
Personne ne doit espérer s'épargner ce conflit avec les sens. Il s'agit seulement de savoir si l'on souffrira peu ou beaucoup au cours de la lutte. La réponse dépend de nous. Chaque fois que nous avons un bon mot pour la matérialité, nous pensons bien de la matière et nous l'établissons plus fermement dans notre propre conscience. Mais avant que nous puissions connaître la paix spirituelle, cette matérialité devra disparaître, et la force de son emprise sur nous peut être jugée par la facilité avec laquelle elle détruit notre paix. La souffrance n'est pas causée par l'Esprit, mais par la résistance à l'Esprit. L'homme dont la paix peut s'évanouir, mesurera sans risque de se tromper beaucoup l'empire que la matérialité exerce sur lui. Il n'y a pas de profit à montrer que Jésus a souffert des péchés du monde. Il en a souffert parce que sans péché lui-même. Aussi les souffrances qu'il a endurées étaient-elles absolument distinctes de celles que procure le péché personnel. La paix, saint Paul l'a dit aux Galates, est un fruit de l'Esprit, et elle se montrera permanente ou instable selon que nous marcherons sur les traces du Christ, ou que nous nous permettrons de les délaisser.
Pour tout être humain, la question revêt un caractère extrêmement pratique. A chaque heure de son existence matérielle il a l'occasion de mesurer son attachement à la Vérité par un sentiment de paix qui l'enveloppe. Il est tout aussi capable de juger si ce sentiment provient des sens, par l'empire que ces derniers ont sur lui, qu'il est à même de dire quand cette paix est le fruit de l'Esprit. Voilà ce que Jésus répétait constamment à ses disciples; aussi pouvait-il leur donner cette assurance: "Que votre cœur ne se trouble point et qu'il ne craigne point." Il savait fort bien que la crainte est le tout premier symptôme de la matérialité, et que le cœur d'un homme n'est agité que dans la mesure où celui-ci donne du poids aux choses matérielles. Pour sortir de la crainte, pour éviter les ennuis, il faut renier avec détermination les convoitises de la chair et s'efforcer d'avoir les mêmes sentiments que Jésus-Christ a eus. C'est ainsi, et ainsi seulement, que descend sur nous la paix de Dieu qui surpasse toute intelligence humaine.