Un écrivain connu raconte l'histoire de deux sœurs habitant Édimbourg, dont l'amitié fut si gravement ébranlée par une controverse théologique que jamais plus elles n'échangèrent une parole. Elles logeaient dans la même chambre, la porte faisant face au foyer. Leur dispute prit un tour si âpre qu'elles allèrent même jusqu'à diviser la pièce en deux afin que l'une ne s'avisât pas d'empiéter sur le domaine de l'autre. L'insuffisance de leurs moyens ou, peut-être, la peur du scandale, empêcha leur séparation. Rien n'est plus facile que de se représenter la situation pénible de ces deux sœurs qu'une vaine chicane dogmatique seule divisait: chacune attendant de l'autre la reconnaissance de ses torts. L'on se demande si elles avaient jamais lu le Sermon sur la Montagne et le treizième chapitre de I Corinthiens.
Dans les premiers jours de la Réforme, les doctrines nouvelles s'accompagnaient d'une intransigeance qu'expliquent fort bien les persécutions dont les premiers Protestants furent victimes. Pourtant, l'on en est encore à se demander comment il fut possible à des dogmes tels que ceux de al prédestination et des châtiments à venir de trouver un pareil crédit. Assurément, les conceptions fatalistes sont aussi vieilles que le monde. Quelques théologiens trop ardents partaient, par malheur, d'une prémisse confuse et prétendaient en tirer des conclusions définitives. Prenant pour point de départ la notion que Dieu est infini, invariable et omniscient, ils arrivaient à la thèse que le Père céleste destine la créature à la félicité ou à la souffrance éternelles. Avant même sa naissance, l'enfant avait son sort réglé: ou le ciel ou les tortures éternelles des flammes de l'enfer l'attendaient. Ce que l'enfant innocent faisait, importait peu; les efforts et les sacrifices des autres pour lui, ne comptaient pas davantage, car Dieu dans Sa sagesse insondable avait déjà pris Sa décision et rien ne pouvait la modifier. Quoi de surprenant si Calvin lui-même voyait là un "décret horrible." Néanmoins, dans la pratique, cela revenait à dire que chacun était convaincu dans son for intérieur d'être prédestiné au salut, tout en étant également persuadé que dans le monde à venir ses amis et ses parents ne partageraient pas ses avantages. A coup sûr, la doctrine du salut universel n'était pas encore agréée. De nos jours, la prédestination a perdu sa place et sa force dans l'église orthodoxe. Mais ne vaut-il pas la peine de se demander si ce n'est pas le titre seul qui a changé, si des thèses tout aussi intolérantes ne sont pas proclamées aujourd'hui non seulement du haut de la chaire mais aussi dans la presse et sur les bancs de l'école? N'y a-t-il pas une étonnante parenté entre ces notions maintenant écartées et les théories courantes de l'hérédité et des influences prénatales?
C'est l'intolérance des vieux dogmes qui a tué ces derniers et qui les rend méprisables à nos yeux. Les gens se sont révoltés contre l'idée qu'il n'y a pas d'espérance pour ceux qu'ils aiment, pour ceux surtout qui sont innocents. Mais avant de condamner les premiers réformateurs pour leur étroitesse, voyons si nous sommes qualifiés pour être leurs juges? Sommes-nous moins intolérants qu'au XVIe siècle? A l'heure qu'il est, les personnes qui ne partagent pas les vues de leurs coreligionnaires ne courent pas de dangers physiques, puisque l'Inquisition et les autres tribunaux ecclésiastiques ont vu leurs pouvoirs abolis ou restreints. Mais, en soi, l'accusation d'hérésie peut être aussi cruelle que dans le passé, et l'ostracisme de la société est une arme qui ne s'est malheureusement pas rouillée dans sa gaîne. Que de fois on entend parler d'amitiés précieuses et de liens familiaux brisés par des divergences doctrinales. Dans bien des pays ce n'est pas une petite affaire que d'abandonner l'église de ses pères. Il se trouve encore des esprits pour déclarer: "La vieille église fut assez bonne pour mes ancêtres, elle est donc assez bonne pour moi." Y a-t-il une bien grande distinction à faire entre des gens qui "ne se parlent pas" parce que leur angle de vision ne concorde pas en tous points, et les deux sœurs écossaises assises face à face en silence, séparées par un trait de craie?
Comment expliquer cette intolérance dans la religion chrétienne? Elle remonte sans doute au problème de la définition de Dieu. Comme Mrs. Eddy l'a écrit: "Les empires et les nations de l'Orient doivent leurs mauvais gouvernements aux fausses conceptions de la Divinité qui prévalent chez eux. La tyrannie, l'intolérance et l'effusion de sang, partout où elles se trouvent, résultent de la croyance que l'infini est formé d'après le modèle de la personnalité, de la passion et de l'impulsion mortelles" (Science et Santé, p. 94). Mais, demandera-t-on, où se renseigner sur un sujet aussi vital? Mrs. Eddy s'exprime là-dessus en termes parfaitement explicites dans l'énoncé des articles de foi de l'Église Mère. Voici le premier (Science et Santé, p. 497): "En tant qu'adhérents de la Vérité, nous prenons la Parole inspirée de la Bible comme notre guide suffisant à la Vie éternelle." N'en conclurons-nous pas que pour connaître et comprendre Dieu, il faut étudier et re-étudier les Écritures? Néanmoins, l'étude seule ne suffit pas. L'enseignement de Jésus-Christ doit être journellement mis en pratique, car ce n'est que par l'épreuve d'une application immédiate que nous nous rendons compte de ce que nous savons vraiment. Après tout, ce n'est pas tant ce qu'on dit et prêche qui compte. C'est ce qu'on fait. Henry Drummond, le théologien écossais bien connu, souligne l'un des principaux traits du message de Jésus quand il pose cette question: "Avez-vous remarqué à quel point la vie de Christ se dépensa en actes de bonté— seulement en actes de simple bonté?" Pour se rendre compte de la justesse de cette réflexion, il suffit d'un rapide examen du ministère du Maître, depuis le jour où il épargna à l'hôte du mariage de Cana en Galilée la disgrâce de la société en suppléant à l'insuffisance du vin, jusqu'à l'heure de la croix quand il prononça cette parole pleine de sollicitude: "Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font."
Dans la description métaphorique du jugement dernier, au vingt-cinquième chapitre de St. Matthieu, il est instructif de noter d'une part les actes qui furent loués, de l'autre ceux qui encoururent condamnation. On s'est trop souvent imaginé que les péchés de la chair, tels que l'apôtre Paul les décrit dans son épître aux Galates, sont ceux qui entraînent les pires châtiments; mais au vrai, que trouve-t-on? N'est-ce pas pour avoir accompli des actes de simple bonté que les brebis de la parabole sont louées, et n'est-ce pas pour avoir précisément omis ces actes que les boucs sont damnés? Les lignes suivantes sont peut-être plus concluantes encore: "En vérité, je vous le dis, en tant que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, vous me l'avez fait à moi-même."
Depuis l'époque où la guérison cesse d'être un élément essentiel de son enseignement, la religion chrétienne a une histoire plutôt affligeante. Oubliant ces paroles de Jésus: "Il y aura un seul troupeau, un seul berger," les adhérents de l'Évangile se sont portés de plus en plus vers la division en sectes innombrables. Les annales du Christianisme sont non seulement remplies par ses déchirements perpétuels, mais sont aussi caractérisées par l'âpreté de son intolérance et de ses persécutions. Où trouver dans l'enseignement du Maître une justification pour toutes ces choses? Un jour, les disciples racontèrent à Jésus qu'ils avaient rencontré un homme chassant les démons en son nom et qu'ils l'en avaient empêché parce qu'il n'était pas de leur nombre. Jésus les approuva-t-il? Sa réponse: "Ne l'en empêchez point ... Celui qui n'est pas contre nous est pour nous," trace une ligne de conduite qui devrait être suivie plus généralement qu'elle ne l'est. L'attitude de Jésus vis-à-vis de ses adversaires est illustrée de façon frappante dans le jardin de Gethsémané quand il guérit le serviteur du souverain sacrificateur à qui Pierre avait coupé l'oreille. Elle l'est aussi dans la réponse adressée par le Maître à ses disciples quand ceux-ci lui annoncèrent que sa parole agitait les Pharisiens: "Laissez-les: ce sont des conducteurs aveugles; si un aveugle conduit un aveugle, ils tomberont tous deux dans la fosse."
Rien ne tourmente plus les églises aujourd'hui que l'indifférence du public en général et des paroissiens en particulier. Pourquoi nos églises dites orthodoxes n'offrent-elles aucun attrait à la moyenne de la population, et surtout à la jeune génération? Cette question est devenue encore plus aiguë depuis la Grande Guerre. Si la religion d'un homme ne lui a pas servi dans l'imminence d'un péril, il est logique d'admettre qu'il n'éprouvera pas un grand enthousiasme pour elle une fois en sécurité. Mais la question revêt encore un autre aspect: Pourquoi le matérialiste honnête éprouve-t-il un tel mépris vis-à-vis du fidèle, genre benoît personnage? Que reprocher à ce dernier? N'est-ce pas précisément son intolérance et son défaut de vraie charité? Examinez les quatre Évangiles et vous verrez qu'ils abondent en paraboles faisant précisément ressortir ce fait. Prenons deux exemples. Dans le récit de l'homme qui tomba entre les mains des voleurs, une distinction est faite entre le prêtre et le lévite d'une part et le Samaritain de l'autre. Identique est la morale tirée de la parabole de l'enfant prodigue et de son frère qui resta fidèlement à la maison. La propre-justice et l'intolérance ont beaucoup en commun. Quand on contemple l'exemple que Jésus a donné au monde, la bonté de ses actes ressort d'une façon extraordinaire. Combien de gens auraient agi comme lui lorsque, confronté avec la femme prise en délit d'adultère, il lui dit: "Moi non plus, je ne te condamne pas"?
Où est le remède, comment le monde va-t-il se défaire de l'intolérance? La solution se trouve formulée par ces paroles d'un cantique: "Adorer vraiment, c'est s'aimer les uns les autres" (Christian Science Hymnal, No. 172). Adorer vraiment, c'est donc résoudre tout le problème. Et ceci n'est possible qu'en parvenant à une conception juste de Dieu et de l'homme. Tout le monde est d'accord sur ce point, mais encore comment y parvenir — où puiser l'information que des millions d'êtres ont déjà cherchée en vain? Les rapports entre Dieu et l'homme sont énoncés par Mrs. Eddy avec autant de clarté que de simplicité, à la page 344 de Miscellany: "Si nous disons que le soleil représente Dieu, alors tous ses rayons, collectivement, représentent le Christ, et chacun séparément représente l'homme et la femme." Ainsi nous voyons l'homme comme émanation de Dieu, exprimant les qualités que Dieu Lui-même exprime.
La question se pose immédiatement: Comment cela peut-il être vrai, et la Christian Science n'enseigne-t-elle pas que Dieu ignore tout des épreuves et des misères de ce monde déchiré par la guerre, ignore jusqu'à la crucifixion de Jésus de Nazareth? "Montre-moi ta foi sans les œuvres, et moi, je te montrerai ma foi par mes œuvres," fut le défi jeté par l'apôtre Jacques. C'est précisément cette épreuve que la Christian Science accepte. Ou sa définition de Dieu et de l'homme est juste, auquel cas elle est démontrable, ou la théorie de la prédestination tient bon et il n'y a pas place pour l'espérance.
Le mercredi soir, dans toutes les églises du Christ, Scientistes, nombre de personnes expriment leur gratitude pour les preuves qu'elles ont eues de l'irréalité du mal dans ses formes innombrables. En outre, chaque semaine et chaque mois la Christian Science Sentinel et The Christian Science Journal contiennent les résultats de démonstrations identiques. Il n'est possible de prouver que ce que l'on sait de façon certaine, mais les chercheurs de la Vérité ne doivent pas être atterrés par l'ampleur de leur enquête. Les théories ne sont valables que si leur mise en pratique produit des résultats. Si sombre que soit le milieu dans lequel nous vivons, si lourde que soit la charge qui nous accable, n'hésitons pas à éprouver la vérité merveilleuse qui a été donnée au monde dans la Bible et dans "Science et Santé avec la Clef des Écritures" de Mary Baker Eddy. Quel espoir palpite entre les feuillets de ces livres! L'heure de l'harmonie définitive ne saurait être évitée, car, comme Mrs. Eddy l'a écrit dans "Non et Oui" (p. 37): "Ce que Dieu sait, Il le prédestine aussi, et cela devra s'accomplir." "Si vous m'aimez, vous garderez mes commandements," disait Jésus. Et quels furent ses commandements? "Je vous donne un commandement nouveau, c'est que vous vous aimiez les uns les autres." Est-ce l'intolérance ou la charité qui doit caractériser notre attitude vis-à-vis de ceux que nous croisons dans la vie quotidienne? Assurément, c'est la charité.
Celui qui sonde les cœurs sait quelle est la pensée de l'Esprit, parce que c'est selon Dieu qu'il intercède en faveur des saints. Or, nous savons que toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés, selon le dessein qu'il en avait formé.— Romains 8:27, 28.