A L'heure décisive où Jésus acquit la certitude que Judas allait le trahir, il ne se mit pas en souci pour lui-même; c'est au monde qu'il pensa, au monde qu'il était venu sauver et dont il serait bientôt enlevé. La grande tâche à laquelle, pendant les trois brèves années de son ministère, il avait travaillé avec une patience et un dévouement inlassables, c'était la préparation des disciples qui devaient poursuivre son œuvre. Pour eux, et pour l'humanité, la vie ne pourrait plus être exactement ce qu'elle avait été avant l'apparition du Maître, car un facteur jusqu'alors inconnu avait été mis en lumière. Leur compréhension et leur fidélité détermineraient la rapidité plus ou moins grande de la régénération qui se produirait certainement.
« Je vous donne un commandement nouveau, » dit Jésus: « Aimez-vous les uns les autres; comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. » Puis, comme s'il voulait leur faire sentir leur responsabilité collective, leur rappeler qu'au lieu d'être simplement des individus vivant chacun pour soi-même, ils avaient désormais une grande mission publique, il ajouta: « C'est à l'amour que vous aurez les uns pour les autres que tous connaîtront que vous êtes mes disciples. »
C'était donc aux yeux du Maître la preuve par excellence, la chose à laquelle on reconnaîtrait les disciples qu'il avait formés. Prêcher comme lui-même l'avait fait; guérir en suivant son exemple; être prêts à subir les privations, les persécutions, les supplices même, comme preuve de leur loyauté et de leur dévouement — aucune de ces choses ne suffirait pour identifier ses disciples. L'amour qu'ils auraient les uns pour les autres devait être la preuve de leur obéissance au nouveau commandement; ceci ferait voir à l'humanité que l'abnégation du Maître, qui allait donner sa vie afin de la reprendre, n'avait point été vaine.
Commentant ce passage biblique, Mary Baker Eddy écrit (Message to The Mother Church for 1902, p. 8): « Le nouveau commandement du Christ Jésus montre ce qu'est la spiritualité véritable, et ses effets harmonieux sur le malade et le pécheur. Nul ne peut guérir ou réformer le genre humain s'il n'y est poussé par l'amour et la bienveillance envers les hommes. »
Sans doute les disciples de Jésus durent-ils souvent méditer cette exhortation du Maître; les Scientistes Chrétiens à leur tour ont besoin d'y réfléchir fréquemment ainsi qu'aux paroles de leur bien-aimée Leader. En effet, c'est là un appel direct non pas tant à l'inviolabilité de l'amour s'exprimant par le sacrifice et le service dans l'intérêt du monde en général, qu'à l'amour mutuel des pionniers. Jésus avait remarqué les tentations qui viennent assaillir ceux que rapproche constamment un travail fait pour la même cause; il savait quelles violentes suggestions — intolérance, soupçons, rivalité, orgueil, volonté personnelle, égoïsme — se déchaînent contre les travailleurs exposés au feu de la critique et des persécutions venant du dehors. Il en résulte que la manifestation des vérités auxquelles maints hommes consacrèrent leur vie a parfois été temporairement différée, souvent même discréditée, parce que l'on n'était pas prêt à aimer comme Jésus aimait.
A la page 8 de Non et Oui, Mrs. Eddy expose nettement son attitude à l'égard de tous les désaccords qui pourraient en un temps quelconque survenir parmi les Scientistes Chrétiens. Elle écrit: « J'enjoins à mes étudiants de n'avoir ni controverse ni inimitié à propos de doctrines et de traditions, ou de fausses conceptions de la Science Chrétienne, mais de travailler, de veiller et de prier afin de faire diminuer le péché, la maladie et la mort. »
Ce qui importe avant tout, c'est que le Scientiste Chrétien maintienne ses sentiments de patience et d'amour; il doit se rappeler qu'il travaille non pour lui-même, non pour obtenir l'approbation d'autrui, mais — comme Jésus en a donné l'exemple — pour répandre la connaissance du salut et prouver la suprématie du bien.
Il semble souvent que les différences d'opinion sont capitales, d'une grande portée; qu'elles entraînent les dissensions, les controverses et par suite une certaine amertume. Ces apparences n'ont rien de nouveau. Depuis que se sont élevées les prétentions à plusieurs entendements, donc à plusieurs volontés, le sens mortel a suivi cette voie. Mais la voie du Christ permettant de remédier à ces maux est nouvelle — nouvelle parce que si l'on surmonte de cette manière-là une erreur quelconque, on n'aura plus à la maîtriser une seconde fois: elle sera guérie.
Le Scientiste Chrétien sincère désire ardemment prouver au monde que la vérité découverte par Mrs. Eddy sauve de tous les maux. Mais il oublie parfois que ce qui prouve en premier lieu sa qualité de disciple, c'est l'amour dont il fait preuve dans ses rapports avec d'autres Scientistes Chrétiens. Il ne doit pas permettre que le magnétisme animal, sous n'importe quel déguisement, l'empêche d'aimer ses frères ou lui enlève ce qui l'identifie avec le Christ.
« Contre la supériorité des autres, le seul remède c'est l'amour, » déclare Goethe. Quelles que soient les difficultés, l'homme n'a d'autre remède que l'amour. Conserver notre unité avec Dieu et avec nos compagnons d'œuvre, voilà ce qui importe si nous voulons avoir la paix intérieure, faire du bien à l'humanité et voir progresser notre Cause. Cela ne veut pas dire qu'il faille excuser le mal ou nous y soumettre, qu'il faille abaisser notre norme; mais nous devons avoir des vues larges, une humeur égale, nous montrer tolérants et pleins d'égards pour autrui, dépersonnaliser le mal. Grâce à cette attitude, les relations humaines deviendront harmonieuses et sages; en outre, la pensée des hommes, sanctifiée et rendue libre, pourra mieux accomplir les vastes tâches dont dépend l'avènement universel du royaume des cieux.
Cet amour mutuel n'impliquera ni supériorité ni infériorité; personne ne sera dominé, personne ne régentera. En revanche, des signes évidents feront reconnaître partout la noblesse des objectifs, la générosité des aspirations, la sincérité du cœur. Le seul, le grand désir sera celui-ci: se montrer digne de l'exemple et du but que ne doivent jamais perdre de vue les vrais disciples, appelés à s'aimer comme des frères.
Observer ce nouveau commandement, en enseigner la pratique, c'est à quoi notre Leader voua sa vie, avec une entière consécration. Après avoir parlé du Conducteur dont l'exemple révèle aux Scientistes Chrétiens le but sublime et les moyens d'y atteindre, elle écrit, aux pages 206 et 207 de Miscellaneous Writings: « Au cours de votre voyage, quand vous soupirez après le repos "le long des eaux tranquilles," méditez cette leçon d'amour. Apprenez-en la portée; puis dans l'espérance et la foi, là où les cœurs se rencontrent pour leur félicité mutuelle, buvez avec moi les eaux vives, l'inspiration de ce but vers lequel ont tendu tous mes efforts — amener les humains à reconnaître vraiment la Science Chrétienne pratique, opérante. »