Parmi les disciples groupés autour de Jésus pendant les trois mémorables années de son ministère, Pierre semble avoir été constamment en lutte avec certaines tendances malheureuses qui s’opposaient à ses progrès. Humainement parlant, ce disciple avait en apparence une propension naturelle à commettre des erreurs. « Pierre, l’impétueux » aurait-on pu l’appeler: agissant par impulsion, il arrivait à des conclusions prématurées et adoptait volontiers un point de vue si avancé qu’il était incapable de le maintenir. Ceci peut du reste s’appliquer à certains disciples d’aujourd’hui qui tout en désirant suivre le Christ, expriment à l’instar de Pierre un zèle sans sagesse.
Tel qui lira ces lignes sent peut-être encore le cuisant souvenir d’une démarche peu sage qu’il a faite sans réflexion et dont il a vite reconnu l’erreur; puisse-t-il trouver du réconfort en se souvenant combien Jésus aimait Pierre, ce disciple impulsif! Avec son remarquable discernement spirituel, Jésus voyait — ce qui restait sans doute caché pour d’autres — que dans ce caractère complexe et parfois pénible, il y avait tout au fond un élément de stabilité réelle et magnifique.
Car Pierre se laissait instruire. Dès qu’il avait reconnu ses erreurs, il mettait le plus grand zèle à les corriger. Lorsque soupant pour la dernière fois avec ses disciples, notre Maître leur lava les pieds comme preuve touchante de son amour et de son humilité, le seul qui protestât fut Pierre; il s’écria avec véhémence: «Tu ne me laveras jamais les pieds! » Avec l’admirable patience dont il ne se départait jamais, Jésus donna cette explication: « Si je ne te lave, tu n’auras point de part avec moi. » Instantanément, Pierre changea d’attitude. Il demanda que non seulement ses pieds, mais ses mains et sa tête fussent lavés. Peut-on s’étonner de ce que Jésus aimait Pierre? On ne saurait se défendre d’aimer celui qui reconnaît si promptement sa faute et qui cherche tout de suite à la réparer. Le pendule va quelquefois trop loin dans la direction opposée, comme ce fut le cas pour Pierre; mais cela indique du moins qu’on admet franchement ses propres torts.
Malheureusement, certains Pierres modernes ne sont pas toujours aussi prêts à reconnaître qu’ils ont fait fausse route. Il est arrivé par exemple que sur une question ayant trait à l’église, d’aucuns émettent une opinion qu’ils soutiennent ensuite à tout prix, même si par la suite sa fausseté devient évidente. Ce qui les déçoit, c’est peut-être l’argument suivant: Je me suis prononcé en faveur de telle chose, je dois m’en tenir à cela, que ce soit juste ou non. Cette attitude crée parfois des situations très difficiles pour les compagnons d’œuvre, qui n’ont pas toujours la patience sublime dont Jésus faisait preuve. S’il est des membres enclins à l’opiniâtreté, il peut leur être utile de se rendre compte que Jésus aimait Pierre non pas à cause de ses erreurs, mais à cause de son empressement à les reconnaître; car avec une docilité et une humilité réelles, l’apôtre n’hésitait pas à dire en son cœur ce qui nous paraît quelquefois si difficile à admettre: «J’ai eu tort. »
Chez Pierre, le jeu de la pensée était très rapide et s’accompagnait d’une action immédiate. Lorsque en une certaine occasion, Jésus lui dit de venir vers lui sur les eaux, le disciple n’hésita pas à descendre de la barque. Il est vrai que bientôt il eut peur; mais il n’en avait pas moins marché sur l’eau; il avait accepté la censure que méritait sa crainte et, soutenu par le Maître, il était revenu jusqu’à la barque. Aucun des autres disciples n’avait fait cela. Une autre fois, après avoir vainement jeté leurs filets pendant toute la nuit, les disciples découragés regagnaient le rivage, lorsqu’une voix leur dit: « Enfants, n’avez-vous rien à manger? » Jean fut le premier à reconnaître Jésus, mais ce fut Pierre qui « s’enveloppa de sa robe de dessus, » et « se jeta dans l’eau. » Cet apôtre avait précédemment, dans un moment de détresse et de crainte, renié son Seigneur; mais sa contrition fut immédiate. Les autres disciples ne comprirent peut-être que plus tard la cruauté de leur désertion, à l’heure critique où le Maître avait tant besoin d’eux; mais dès que Jésus se fut retourné pour regarder Pierre, qui était dans la cour, celui-ci sortit et pleura amèrement.
Si à ce moment-là, quelqu’un eût dit à Pierre qu’un jour il entrerait dans la pénombre d’une « chambre haute » et ressusciterait une morte, il aurait peut-être cru la chose impossible. Si on lui eût prédit que le bien-aimé Maître qu’il avait abandonné lui donnerait dans quelques semaines cette mission sacrée: « Pais mes brebis » — il aurait pu dire qu’un pardon aussi magnanime dépassait la compréhension humaine; ce qui était bien le cas! Mais grâce à son discernement spirituel, Jésus savait sans doute que malgré les nombreux manquements de Pierre, ce disciple était prêt à maintenir et à propager, avec une loyauté constante, les enseignements de ces trois mémorables années. A l’heure où Pierre ressentait dans toute leur amertume la honte et l’humiliation, il se rappela peut-être ce que Jésus lui avait dit précédemment: « Simon, Simon, voici que Satan a demandé à vous passer au crible comme le blé. Mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point. Toi donc, quand tu seras converti, affermis tes frères. »
Dans ce cas, cette assurance dut être un rayon de lumière perçant les ténèbres du désespoir et des remords. Jésus lui avait donné l’ordre d’affermir ses frères. Le disciple qui semblait manquer de force, de stabilité, de courage moral, au moment où ces qualités étaient le plus nécessaires — celui-là devait affermir autrui! Le genre de discernement spirituel dont il avait donné des preuves était la « pierre » sur laquelle reposerait le christianisme. Son Maître avait confiance en lui!
Certes, l’apôtre jadis impétueux se montra digne de cette confiance, car à l’heure de la détresse, c’est à lui que s’adressèrent quelques fidèles plongés dans l’affliction. A Joppé, une femme nommée Tabitha était morte, et ses amis firent chercher Pierre. Il les trouva rassemblés dans une chambre haute où l’on avait déposé le corps; et des veuves qui pleuraient firent voir les «vêtements et manteaux » cousus par leur compagne, « riche en bonnes œuvres » et en aumônes. Tabitha s’était montrée si bonne! Mais la bonté humaine ne suffisait pas pour lui épargner la sujétion au « dernier ennemi. » La seule chose qui en soit capable, c’est la compréhension de la Vie, de la Vérité, de l’Amour. Aussi Pierre fit-il « sortir tout le monde, » éliminant les lamentations où figurait probablement la plaintive remarque qu’une personne aussi bonne et aussi pieuse que Tabitha n’aurait pas dû mourir. Lorsque tous furent sortis, Pierre se mit en devoir de prouver non seulement qu’elle n’aurait pas dû mourir, mais qu’en réalité elle n’était point morte. Il « se mit à genoux et pria. » Or Pierre avait été avec Jésus: il savait comment prier. Bientôt Tabitha « ouvrit les yeux, et, voyant Pierre, elle se mit sur son séant. »
Un de nos Pierres modernes s’attache-t-il peut-être au souvenir des erreurs passées? Qu’il se rappelle ce qu’écrivait notre bien-aimée Leader, Mary Baker Eddy (Science et Santé avec la Clef des Écritures, p. 324): «Le bonheur de dépasser les fausses limites et la joie de les voir disparaître, — voilà la disposition d’esprit qui aide à hâter l’harmonie ultime. » Une erreur est toujours une fausse limite, un mauvais point de repère. Elle dénote un faux sens de l’homme, un concept inconnu dans la réalité divine. Si la repentance a été profonde, sincère, et qu’on ait fait tout son possible pour réparer ses torts, faut-il d’année en année considérer un faux point de repère? Ce n’est assurément pas ce que Dieu nous demande! La loi divine veut qu’on se détourne de ce qui indiquait un faux sens de l’existence; elle réprouve la contemplation incessante, triste et vaine, de ces erreurs, qui perpétuerait leur prétention à la vie ou à la réalité et le pseudo-pouvoir qu’elles s’attribuent pour nous rendre malheureux.
La Science Chrétienne n’admet pas la possibilité de deux espèces d’homme, l’un parfait, l’autre imparfait. Cette conception rentre dans la fausse théologie qui se traduit par des visages sombres, des cœurs oppressés, des pas lents et lourds. Sachons qu’aucun effort malveillant de ce qu’on nomme l’entendement mortel ne peut nous ravir notre joie en Christ. Y a-t-il eu jadis une fournaise ardente? Nous en sommes sortis. Avons-nous dû traverser des sables arides? Cela aussi est passé. Pourquoi revenir en arrière et vivre à nouveau ces épreuves? « Dieu requiert ce qui est passé » (Eccl. 3:15, version anglaise). Cessons de contempler un monde où l’imperfection occupe une place quelconque, où elle a pu ou pourra jamais trouver une place. Mrs. Eddy a déclaré (Miscellaneous Writings, p. 130): « Quand le mobile est bon et que les actions sont en majeure partie justes, nous devrions éviter de faire allusion aux fautes passées. » Pourquoi ne pas abandonner aujourd’hui même les faux points de repère? Quel soulagement de voir disparaître ces souvenirs inutiles, pénibles, obsédants, de ce que le monde appelle « le passé »! Alors nous pouvons sortir de l’obscurité, voir la glorieuse lumière de Dieu, ressentir la paix dont s’accompagne la compréhension d’une Vie qui ne connaît point de « passé » — une « Vie qui renouvelle tout. »
Dans la ville de Joppé, en sortant de l’humble demeure où la présence perpétuelle du Christ avait été rendue sensible à l’humanité, Pierre n’était plus l’impétueux disciple, mais l’apôtre humble, assagi, purifié. Nous avons peine à croire qu’il pensait seulement à l’heureux foyer dont il sortait, ou à Tabitha. Sans doute, lorsqu’il prit tranquillement le chemin du retour, la joie éclairait son rude visage et l’embellissait; la gratitude remplissait son cœur, où résonnait cette pensée réconfortante: «Il m’a fait confiance. Le Maître comptait sur moi. Il savait que je serais fidèle! »
