Nous ne savons combien de temps Paul et Barnabas demeurèrent à Jérusalem, lors de la deuxième visite de Paul dans cette ville. Il est à peu près certain qu'ils furent reçus en amis, non seulement par les chefs de l'église, mais encore par ceux auxquels leurs dons avaient permis de surmonter leur détresse (voir Actes 11:29, 30). Il eût été difficile aux Juifs eux-mêmes de ne pas apprécier l'aide apportée par ces hommes au soulagement des misères publiques.
Il se peut que ce soit à cette époque — sinon lors de sa première visite après sa conversion — que Paul reçut la révélation dont il est fait mention dans Actes 22:17–21. Il relate à la foule juive à laquelle il s'adresse que, « de retour à Jérusalem », comme il priait dans le temple, il vit apparaître Christ Jésus, qui lui ordonna de quitter immédiatement la ville, car son témoignage n'y serait pas accepté. Paul osa argumenter contre la vision, disant que les Juifs étaient parfaitement au courant du fait qu'il avait autrefois persécuté les chrétiens, qu'il les avait fait battre et emprisonner, et avait consenti à la lapidation d'Étienne. Il voulait dire par là que les Juifs seraient sûrement frappés par le changement complet de ses convictions. Il lui fut répondu seulement par un commandement encore plus net, auquel il était impossible de ne pas prêter attention: « Va, je t'enverrai au loin vers les nations. »
Cette vision, où qu'elle se produisît, met dramatiquement en relief le fait que Paul reconnut que sa mission était d'aller auprès des païens. Il se peut que sa deuxième visite à Jérusalem n'ait fait qu'accentuer cette reconnaissance. En retournant à Tarse, et même durant son séjour à Antioche, il s'était jusqu'alors préparé graduellement à son ministère particulier, se familiarisant de plus en plus avec les problèmes et les besoins des païens, sans essayer de se rendre jusqu'à leurs provinces et leurs villes plus éloignées. Il avait maintenant prouvé d'une manière satisfaisante aux autres apôtres qu'il ne fallait pas juger le christianisme en fonction du rite juif de la circoncision, que ce rite fût accepté ou non, et que le moment était venu d'entreprendre une mission plus vaste, plus universelle chez les païens.
Lorsque Paul et Barnabas partirent de Jérusalem pour Antioche, ils emmenèrent un jeune parent de Barnabas dont le nom juif était Jean, mais qui nous est plus connu sous le nom de Marc (voir Actes 12:25; Col. 4:10). Marc était le fils de Marie, membre aisé de l'église de Jérusalem, et chez qui il se peut que Pierre ait vécu (voir Actes 12:12–16). Les rapports entre Pierre et Marc durent être très étroits. Selon une tradition bien établie de l'Église primitive et dont Papias fait état au deuxième siècle, Marc était l' « interprète » de son maître, Simon Pierre, et ce dernier lui fournissait les matériaux de ce que nous connaissons aujourd'hui sous le nom d'Évangile selon saint Marc. Nous avons affaire ici à un jeune chrétien d'avenir, qui allait accompagner les deux missionnaires, leur tenant lieu de serviteur ou d'aide, tout en se préparant à son futur ministère.
Après le retour de Paul à Antioche, un événement significatif se produisit. L'église de cette ville comprenait un groupe de docteurs et de prophètes remarquables, parmi lesquels, outre Barnabas et Paul, Siméon, dont le surnom païen était Niger, Lucius de Cyrène et Manahen. Ces chefs, actifs dans l'église de la région, étaient en plein travail missionnaire lorsque, ainsi que nous le lisons dans les Actes, « le Saint-Esprit dit: Mettez-moi à part Barnabas et Saul pour l'œuvre à laquelle je les ai appelés. » Les disciples obéirent. Après une période de jeûne et de prière, les trois disciples qui ne partaient pas chargèrent officiellement Barnabas et Paul de leur mission et les mirent en route (voir 13:1–3).
La mission des deux apôtres auprès des païens avait débuté pour tout de bon. Le treizième chapitre des Actes a trait au commencement de ce que l'on appelle habituellement le premier voyage missionnaire de Paul, au cours duquel il pénétra pour la première fois profondément en terre païenne. C'est vers l'an 47 de notre ère que lui et Barnabas, « envoyés par le Saint-Esprit » (v. 4), se rendirent à Séleucie, port d'Antioche distant d'une trentaine de kilomètres de cette ville. De là, ils firent voile vers l'île de Chypre, située à quelque cent dix kilomètres plus à l'ouest.
Barnabas et Paul devaient commencer leur travail missionnaire à Chypre pour diverses raisons. C'était la patrie de Barnabas, et pour cette raison un lieu de rencontre tout indiqué. Et aussi, le christianisme n'y était pas inconnu à la population juive, car l'île avait reçu la visite de quelques-uns des disciples ayant fui la persécution qui avait suivi le martyre d'Étienne (voir Actes 11:19). Chypre présentait donc un double avantage; d'une part, les païens n'y avaient pas encore entendu la prédication, d'autre part, on pouvait attendre des amis de Barnabas et des convertis juifs qui habitaient là aide ou encouragement à l'entreprise missionnaire. Et puis la position géographique de Chypre en faisait un point de départ logique pour une mission qui devait s'étendre vers le nord et vers l'ouest. Chypre est une île d'une certaine importance, mesurant plus de deux cent cinquante kilomètres dans sa plus de deux cent cinquante kilomètres dans sa plus grande longueur, et possédant en son milieu une plaine vaste et fertile. A l'époque, elle renfermait une population juive importante, en plus des indigènes.
Les deux apôtres et leur jeune compagnon Jean Marc débarquèrent au port de Salamine, qu'il ne faut pas confondre avec l'île du même nom située dans la mer Égée. L'importance de la ville expliquait la présence d'un certain nombre de synagogues juives, où les apôtres prêchèrent avant de parcourir toute l'île. Nous ne savons rien du travail qu'ils accomplirent avant d'atteindre Paphos, à l'extrémité sud-ouest de Chypre.
C'est à Paphos que Paul et Barnabas connurent leur premier triomphe — triomphe qui nous a été rapporté. Là, leur mission suscita l'intérêt de Sergius Paulus, le proconsul romain qui gouvernait l'île. Celui-ci leur demanda d'exposer leur message devant lui. Cela excita la jalousie d'un certain sorcier ou astrologue juif, nommé Bar-Jésus (fils de Jésus ou Josué) ou aussi Élymas. Il semble avoir été bien en cour auprès du proconsul, et il craignait que les deux apôtres ne contrecarrent son influence. Aussi, il « leur faisait opposition, cherchant à détourner de la foi le proconsul ». Cependant, Paul appela Élymas « fils du diable » et lui dit qu'il serait frappé temporairement de cécité, ce qui se produisit sur l'heure. Nous lisons que le proconsul « crut, étant frappé de la doctrine du Seigneur » (voir 13:5–12).
Sergius Paulus semble avoir été le premier des païens que Paul convertit qui fût mentionné par son nom. Il est significatif de relever qu'à partir de ce moment-là, dans les Actes, l'apôtre n'y figure plus sous son nom juif de Saul, mais sous le nom romain de Paul, nom familier aux païens, auxquels la prédication de l'apôtre devait s'adresser en premier lieu. C'est dans Actes 13:9 que nous avons la première indication de ce changement significatif de nom, seul verset où les deux noms apparaissent ensemble: « Saul, appelé aussi Paul. »
Le bref incident relatif à la déconsidération du sorcier juif et à la conversion du proconsul romain est également intéressant en ce qu'il semble annoncer un « avancement » certain pour Paul. Immédiatement avant cet incident, il est fait mention de Barnabas et Paul (dans cet ordre). Presque aussitôt après, on parle de « Paul et ses compagnons » (v. 13). On ne mentionne pas même Barnabas ! Dans les chapitres suivants, lorsque les noms des deux apôtres apparaissent côte à côte, l'ordre adopté presque invariablement est Paul et Barnabas, non Barnabas et Paul.