Pour Jésus, le temps de l'obscurité à Nazareth touchait maintenant à son terme; il était prêt à aborder son ministère, sa carrière publique et à rassembler autour de lui ceux qui voulaient devenir ses disciples. Il s'agissait de ceux qui allaient avoir le privilège particulier d'être à ses côtés chaque jour, tandis qu'il prêchait, enseignait et guérissait. Son exemple allait être pour eux une bénédiction, ses directives et paraboles une source de savoir, jusqu'au moment où ils allaient eux-mêmes être prêts à poursuivre l'œuvre qu'il commençait, et à l'étendre.
Les maîtres de l'époque s'entouraient habituellement d'un cercle de disciples intelligents, sérieusement versés dans la loi mosaïque qu'interprétaient ces enseignants. Pareil ensemble s'était groupé autour de Jean-Baptiste. Et maintenant Jésus rassemble également autour de lui des hommes qui vont l'aider dans son travail — étudiants qu'il appellera tour à tour ses amis, ses frères, voire ses enfants et tout-petits, ses serviteurs. C'est eux qui allaient assister au début de l'expansion de ce royaume des cieux dont ils allaient tant entendre parler dans le proche avenir.
Et c'est ainsi qu'à l'endroit même, ou tout près du lieu où l'œuvre de Jean-Baptiste s'était déroulée, ce fameux groupe des douze, intimes disciples du Maître, commença à prendre forme.
Deux des disciples du Baptiste, comme le rapporte le quatrième Évangile, décidèrent de suivre Jésus quand ils entendirent Jean l'appeler et le reconnaître en tant que « l'agneau de Dieu » (Jean 1:36). Il s'agissait d'André, l'autre n'étant pas nommé, bien que les érudits s'accordent à dire que vraisemblablement c'était Jean. Et tout de suite, André amène au groupe son frère Simon qui allait être appelé Pierre (voir versets 40–42).
Ensuite le Maître « rencontra Philippe. Il lui dit: Suis-moi... Philippe rencontra Nathanaël, et lui dit: Nous avons trouvé celui de qui Moïse a écrit dans la loi et dont les prophètes ont parlé, Jésus de Nazareth, fils de Joseph » (Jean 1:43, 45).
Bien que ces cinq hommes — André, Jean, Pierre, Philippe et Nathanaël — ne fussent que de simples paysans et surtout des pêcheurs, leur esprit était tout empreint de la loi et de la prophétie hébraïques. L'interprétation traditionnelle avait si peu terni leur intuition spirituelle qu'ils avaient immédiatement su discerner chez le Maître ces qualités divines longtemps associées à l'idée de Messie.
Appelé par Philippe à suivre quelqu'un originaire de Nazareth, cette région si déconsidérée, Nathanaël se montra sceptique. Toutefois, la perspicacité du Messie, si évidente à Nathanaël dès leur première rencontre, eut tôt fait de balayer ces doutes. A son propos Jésus dit (verset 47): « Voici vraiment un Israélite, dans lequel il n'y a point de fraude. » Bien sûr, il faut voir là une allusion à Jacob, ce patriarche qui par ruse avait spolié son frère de son droit d'aînesse, chose qui lui avait valu un nom suggérant la tromperie, l'évincement par intrigue, avant de se voir attribuer le nom et la nature d'Israël (voir Gen. 32:28). Une fois encore il est fait allusion à l'histoire de Jacob, lorsque Jésus prédit à Nathanaël qu'il verrait « les anges de Dieu monter et descendre sur le Fils de l'homme » (Jean 1:51; comparer avec Gen. 28:12).
Et maintenant Jésus est de retour en Galilée, dans le nord. Voici ce que relate Matthieu: « Comme il marchait le long de la mer de Galilée, il vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et André, son frère, qui jetaient un filet dans la mer; car ils étaient pêcheurs. Il leur dit: Suivez-moi, et je vous ferai pêcheurs d'hommes » (Matth. 4:18, 19).
S'étant déjà sentis attirés vers Jésus lorsqu'ils l'avaient rencontré à Béthanie, au-delà du Jourdain, par l'intermédiaire de Jean-Baptiste, ils sont maintenant tous deux appelés à abandonner leur ancienne profession et à devenir exclusivement ses disciples. Un peu plus loin, Jésus avait rencontré Jacques et Jean, fils de Zébédée, en train de réparer leurs filets dans une barque de pêche. Ils avaient eux aussi abandonné leur métier de pêcheurs afin de le suivre (voir Marc 1:19, 20).
Et voici une autre scène, dans l'Évangile de Jean, qui se situe lors des premiers jours après le retour de Jésus en Galilée: « Trois jours après, il y eut des noces à Cana en Galilée » (Jean 2:1) auxquelles Jésus et ses disciples étaient invités, ainsi que sa mère. Quand il n'y eut plus de vin, Marie en fit mention à Jésus qui lui répondit en l'appelant « Femme » (verset 4), ce qui ne signifiait nullement un manque de respect. C'est là chose coutumière que l'on trouve fréquemment dans les Évangiles. Lorsque Jésus est sur la croix et qu'il remet sa mère aux soins du disciple bien-aimé, comme le rapporte le quatrième Évangile, il emploie le même vocable: « Femme, voilà ton fils » (19:26).
Il y avait là six grands vases de pierre, pouvant contenir chacun quelque soixante-quinze à quatre-vingts litres d'eau servant, selon la coutume juive, aux purifications (voir 2:6). Jésus donna ordre d'y verser de l'eau à ras bords, et quand on en remplit les gobelets, les invités déclarèrent que c'était un vin de tout premier ordre. « Tel fut, à Cana en Galilée, le premier des miracles [littéralement: des signes] que fit Jésus. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui » (verset 11).
Et Jean poursuit (2:12): « Après cela, il descendit à Capernaüm, avec sa mère, ses frères et ses disciples, et ils n'y demeurèrent que peu de jours. » Cette ville romaine de Galilée, sur la rive nord-ouest du lac, allait par la suite devenir ses quartiers en Palestine du nord (voir Matth. 4:13; 9:1), scène de nombreux événements qui ont marqué sa carrière.
On a expliqué de diverses manières la référence faite aux « frères » de Jésus; Marc rapporte toutefois cette question de la bouche des voisins galiléens de Jésus (6:3): « N'estce pas le charpentier, le fils de Marie, le frère de Jacques, de Joses, de Jude et de Simon ? et ses sœurs ne sont-elles pas ici parmi nous ? »
Quoique, selon le récit de Marc (1:21) et de Luc (4:14, 15), on pourrait conclure que son ministère en Galilée commence immédiatement, le récit de Jean le montre retournant à Jérusalem en Judée, pour la fête printanière de Pâque. C'est alors qu'il purge le temple de son vain trafic (voir Jean 2:13–25) et qu'a lieu la fameuse discussion avec Nicodème sur la nouvelle naissance, sujet de la plus haute importance (voir 3: 1–21). Et de là, abandonnant la ville, il va continuer son œuvre dans la campagne de la Judée.
En ce qui concerne une tentative de relever dans leur ordre précis les événements marquant les trois années du ministère de Christ Jésus, voici un commentaire tiré de The Interpreter's Dictionary of the Bible (Dictionnaire interprétatif de la Bible): « La recherche moderne sur l'Évangile a maintenant abandonné la quête désespérée qui devait permettre de tisser les quatre Évangiles en une seule narration consécutive, comme aussi l'espoir de simplement arriver à une “harmonie” respective des quatre récits. » On trouvera une facile explication de la chose dans le fait que chaque Évangile, en relatant la vie et les œuvres du Maître, poursuit un objectif particulier (voir le chapitre de cette série qui a paru dans le Héraut de septembre 1972).
De nos jours, la Bible continue de présenter à sa façon, unique et inimitable, le message de vérité spirituelle que ses pages contiennent. Et tandis que nous nous efforcerons dans cette série d'ajuster entre elles et au mieux les étapes successives de la carrière de Jésus, il faut laisser les Évangiles offrir leur propre récit. Qu'il s'agisse de paraboles, de guérisons, ou d'événements majeurs dans l'existence de notre Maître, les éléments de ce récit seront reconnus et appréciés pour la valeur spirituelle et hors chronologie qui les caractérise, plutôt que pour la place qu'ils occupent en un canevas strictement historique.
