« Les excursions dans le désert sont magnifiques, pensait Karen avec lassitude, mais elles peuvent aussi être rudement éprouvantes. » Elle et son amie Jan chargèrent sur leurs épaules le lourd canoë pour un nouveau portage, le troisième de la journée.
« Plus d'un kilomètre et demi cette fois, maugréa Jan, et puis nous aurons à refaire toute la route pour chercher le ravitaillement. »
Cette excursion n'avait pas été bien préparée, semblait-il. Les bagages et le ravitaillement étaient mal conçus: il y avait de lourdes boîtes de conserves, encombrantes et difficiles à porter. L'itinéraire, avec ses portages éreintants le long de pistes accidentées, était malaisé et épuisant. Et voilà que trois jours après s'être enfoncé dans les forêts sauvages du Canada, il n'y avait plus là qu'un groupe de jeunes filles lassées et découragées. De plus Karen ressentait à l'estomac une sourde douleur dont elle ne pouvait se débarrasser.
Tard cette nuit-là elle s'éveilla en sursaut. La sourde douleur s'était muée en une souffrance aiguë qui lui coupait presque le souffle. Elle ramena plus étroitement le haut de son sac de couchage autour de son cou pour s'abriter contre l'air glacé. Par l'ouverture de la tente elle pouvait à peine distinguer le long rivage du lac — froid, silencieux et sinistre. Karen frissonna. Elle ne désirait pas réveiller ses compagnes. Elles s'inquiéteraient et voudraient lui faire prendre un médicament. Il n'y avait probablement pas d'autre Scientiste Chrétien à des centaines de kilomètres à la ronde, et même s'il s'en trouvait un, il n'y avait pas moyen de le contacter.
« Cette fois je suis livrée à moi-même, pensa-t-elle. Je vais devoir résoudre ce problème complètement par moi-même. »
Mais en réalité Karen n'était pas seule. Dieu remplit tout l'espace, et l'homme ne peut jamais s'aventurer au-delà de Sa totalité. L'Amour divin est omniprésent — au-delà de l'étoile la plus éloignée ou de l'océan le plus profond — et pourtant toujours présent, là même où nous sommes. La distance ne crée aucun obstacle à la présence ni au pouvoir de la Vie, car l'Esprit, l'Entendement divin, est infini. Mrs. Eddy écrit: « Le “son doux et subtil” de la pensée scientifique porte à travers les continents et les océans jusqu'aux extrémités les plus lointaines du globe. La voix imperceptible de la Vérité est, pour l'entendement humain, pareille “au rugissement d'un lion.” Elle se fait entendre dans le désert, et dans les lieux ténébreux de la peur. » Science et Santé, p. 559;
Il y a un genre de contrée sauvage qui n'est pas physique mais mental. C'est une croyance à l'impuissance et au doute, une crainte erronée que nous sommes hors de l'amour de Dieu et au-delà de Sa sollicitude. La Science Chrétienne enseigne que nous pouvons vaincre de telles pensées de douleur et de terreur. Si nous nous tournons pleins de confiance vers Dieu, nous sommes capables d'exclure la crainte et de sentir plus nettement la présence de Dieu. Nous nous apercevons que là même où semblent se manifester la solitude et le doute, il existe des trésors de Vérité pour nous bénir et nous guérir. Mrs. Eddy écrit: « Les grands faits spirituels de l'être, tels des rayons de lumière, luisent dans les ténèbres, bien que les ténèbres ne s'en étant point pénétrées, puissent en nier la réalité. » p. 546; Et le Psalmiste a écrit: « Si je dis: Au moins les ténèbres me couvriront, — la nuit devient lumière autour de moi; même les ténèbres ne sont pas obscures pour toi, la nuit brille comme le jour, et les ténèbres comme la lumière. » Ps. 139:11, 12;
Ce qui semblait le plus difficile à Karen, c'était de maîtriser ses pensées. Plus elle essayait d'attacher sa pensée à la vérité, plus l'erreur criait fort et vite. « Si seulement je pouvais avoir moins peur, pensa-t-elle. Mais comment cesse-t-on d'avoir peur ? » Elle tenta de se remémorer quelque affirmation de la Science Chrétienne. « Je suis l'enfant parfaite de Dieu, songea-t-elle. Si je maintiens très fermement cette vérité et que j'exclue tout le reste, il ne peut plus y avoir de place pour la crainte. »
« Mais si ce n'était pas la vérité ? » De nouveau ce doute agaçant, qui essayait de s'insinuer en elle, avant même qu'elle eût commencé à s'attacher à la vérité. Karen savait qu'on doit souvent répondre à l'erreur du tac au tac. Aussi elle murmura vigoureusement: « Je sais que c'est vrai, parce que j'en ai eu la preuve: quand j'avais ces maux d'oreille, et puis une fois lorsque je me suis brûlé la main, et à l'époque où je semblais avoir la scarlatine. Je l'ai prouvé par une quantité de guérisons. »
« Je suis l'enfant parfaite de Dieu », ne cessait de se répéter pensivement Karen. Peu à peu il devint plus facile de se concentrer sur cette affirmation. Graduellement cette pensée-Christ s'installa en elle, s'épanouit et remplit sa conscience.
« Voilà la réponse que je cherchais, pensa-t-elle. C'est cela la vraie démonstration — surmonter la crainte et le doute et la fausse croyance dans sa propre pensée. Et il suffit d'une seule pensée juste si on en tire vraiment parti. Je n'ai plus du tout peur, et maintenant tout le reste va se résoudre. Ce doit être ce qu'entend ma monitrice de l'École du Dimanche quand elle dit qu'une guérison de la Science Chrétienne s'effectue dans la pensée. Je n'ai jamais vraiment compris cela jusqu'ici. »
La douleur se dissipait et Karen se sentait détendue et avait envie de dormir. Elle se souvint de deux vers d'un poème de Mrs. Eddy:
Et du Très-Haut la demeure est tout près:
Son bras encercle tendrement les Siens. Hymnaire de Christian Science, n° 207.
Quelle pensée réconfortante ! Savoir cela vous ferait traverser n'importe quelle difficulté !
Quelqu'un la secouait par les épaules: « Il est presque l'heure de filer ! » Jan riait. « Qu'est-ce que tu as roupillé ! »
Les jeunes filles avaient déjà démonté la tente et Karen était couchée dans une large zone de soleil. Elle rampa hors de son sac de couchage et s'étira. Elle se sentait merveilleusement bien.
« Regardez donc le soleil sur le lac ! s'exclama Jan. C'est comme des millions de diamants sur l'eau. »
Karen sourit. C'était le même lac, le même rivage et la même eau qui lui avaient paru si sombres et effrayants la nuit précédente. Le soleil avait révélé le vrai paysage et touchait chaque ride de l'eau d'une lumière éblouissante. « C'est comme les trésors de la Vérité, pensa-t-elle. Nous les voyons quand nos pensées sont remplies de lumière. Ils sont tout autour de nous, où que nous soyons. Il y a toujours des diamants dans le désert ! »
